la ligne

Publié le par miniklochette

Au plus loin que je me rappelle, le sang a coulé. Le rouge était pour moi une couleur banale. Cela n’aurait pas dû.

La façade de la garnison pleurait en entendant le chant des elfes. Les hommes aguerris souffraient d’une peur indescriptible devant l’horreur de la scène. Jamais ils n’avaient assisté à pareille vision. Ils s’armaient de leurs épées, glaives, lances, arcs, croyant pouvoir se défendre contre un ennemi de chair et d’os. Pauvres fous qu’ils étaient.

Je riais sous cape en les regardant apeuré tremblant comme des feuilles dont l’arbre était secoué de frissons. Je riais sous cape quand je vis les premières têtes tomber. Je riais quand j’entendis les premières clameurs du peuple soulevé par la terreur. Je riais quand je pus sentir l’odeur âcre du sang chaud. Je riais quand je goûtais cette saveur sucrée qui dégoulinait le long des chemins menant au palais.

Dans cet affolement général, la panique laissant place à un silence de mort, là à ce moment précis où chacun ne sait plus, je pus sortir de ma cachette et admirer mon œuvre.

La plupart des guerriers étaient affalés dans la poussière du sol sableux. Le corps d’un coté, la tête, peut être encore accrochée par un lambeau de chair, peut être au loin poussée par les pas des hommes qui fuyaient et tentaient de sauver leur vie. Le spectacle était superbe. Un amoncellement de corps fumants, gisants en tas comme si on voulait ranger avec soin après la bataille se tenait au milieu de la cours. Les armes éparpillées au gré des combats. Les hommes avaient lutté contre une force invisible, contre bien plus fort qu’eux. Ils se pensaient infaillibles, et ils avaient chût.


J’avais préparé cette attaque avec minutie. Depuis longtemps, puisque j’avais tout mon temps, j’attendais le moment propice.

Cela faisait déjà quelques années que les peuples se disséminaient, s’éparpillaient aux quatre coins du monde, n’éprouvant que haine et rancune les uns envers les autres. L’unanimité contre le fléau perdait en grandeur et puissance. C’est à ce moment là que je décidais de rassembler mes troupes.

Je me rendis donc en Altan’ rejoindre les elfes noirs qui gardaient le grand détroit de Baltal. Ils m’accueillirent sans grande cérémonie, mais leur chef compris nos intérêts communs.

Une lutte contre les hommes serait une réelle jouissance pour l’avenir des miens. Non pas que je sois le meneur d’une armée, ni d’un peuple, mais je pensais être celui qui mènerait à la victoire totale.

Nos négociations durèrent plus que de raisons, Tuyllin essayant par tous les moyens de prendre plus de place que nécessaire dans mes plans. Je consentis néanmoins à subvenir aux besoins de ses hommes en chère et en eau. Les loisirs, je les laissaient décider par eux seuls ce dont ils pouvaient jouir sur les routes du monde.


Nous rencontrions peu ou proue d’obstacles. Le but de notre armée marchant sur les terres lumineuses était d’atteindre dans les plus brefs délais le palais impérial de la grande duchesse de Nuza. Elle détenait le pouvoir absolu de rendre la terre lumineuse. De par sa vie, elle permettait au monde de voir le jour. Sans sa présence sur ses terre, la vie telle qu’elle était serait anéantie. La grande duchesse était prisonnière de sa destinée et de la vie de tout un monde. En cela, mon plan était génial. Il lui suffisait que quitter ses terres l’ombre d’un souffle pour que la lumière s’éteigne à jamais.

Mon plan était simple mais efficace.

L’enlever, la tuer, peu importe, l’important étant que cette dame sorte de ses frontières.


Le chaos qui régnait dans la cour du palais valait tous les sacrifices. Le rempart était tombé aux mains des elfes, et par leur savoir qui m’était inconnu, la pierre fondait dès qu’ils chantaient. Leur art était là. Nul besoin d’armes pour se défendre, les hommes étaient suffisamment imbus pour croire que la pierre les soutiendrait aisément et éternellement.

Si bien que dès que la roche se trouvait être aussi meuble que du sable, ils s’enfuyaient ou tentaient de lutter, s’enfonçant toujours plus dans la masse, et finissaient par mourir étouffé. Le peu d’entre eux qui sortaient indemne de cela, passait ensuite dans les bras bien armés des Orcs. Impossible de survivre dans cet environnement.

La vue du sang les rendait hystériques dans leurs actes. Tout commandement était inutile quand ils étaient dans cet état là. J’avais donc assigné un ordre informel à chacun. Sur un geste, une parole, tout pouvait s’arrêter net.

Mais je ne fis rien…

Je laissais libre court à leur sanguinaire besoin de violence.

Quand il ne resta plus qu’un homme à se dresser contre cette armée, je sortis de la bulle dans laquelle j’étais. J’apparus soudainement face à lui.

Ainsi j’ordonnais à l’armée bouillonnante de fureur de s’arrêter là. Les corps des Orcs vacillaient sous le charme, mais ils s’immobilisèrent immédiatement dans leur élan, les bras encore levés prêts à porter le coup fatal.
Je m’avançais en regardant ce fou trembler comme une feuille alors qu’il tenait encore son épée fermement dans la main. Pourtant, elle ne tremblait pas. Il avait le regard haineux. Ce que je pris pour de la peur, n’était en fait que fureur et fatigue. Son corps réclamait un répit.

Alors que je ne pris garde, il m’asséna un coup sur l’épaule.

Je faiblis sous la surprise, et aussi soudainement que s’il l’avait pensé, un autre coup vint me frapper les flancs. Je fléchis.

Tombant le genoux en terre, j’entendis les Orcs hurler leur besoin de cogner, malheureusement, je pouvais les défaire sans qu’ils s’en prennent en moi. Le sort ne fonctionnait en totalité avec l’entière concentration. Je les tenais depuis des mois ainsi, bien scrupuleusement à ma merci, secret connu que de moi.


Les elfes noirs n’avaient pour mission que de nous permettre d’entrer en toute tranquillité et ils étaient déjà repartis, ne voulant pas être présents lors du massacre. La négociation avait été là, entière.

Aussi, je ne pouvais compter que sur moi-même. L’instant suivant, sans que je ne comprenne comment, je roulais sur le sol, une épée dans la main.

J’esquivais les coups que je pouvais, portais une attaque, et recommençais.
La dextérité de mon adversaire était telle que je ne parvenais pas à le toucher ou si peu, et il ne manifestait pas la moindre gêne d’avoir son épaule en sang.

En un espace infiniment court, je devint invisible. Me voilant à la vue de mon adversaire.

Je le contournais, alors qu’il me cherchait hagard, les yeux exorbités.
Je ne pouvais que sourire devant le réussite de mon maléfice. Et pourtant quelque chose dans son attitude me faisait croire qu’il n’était pas si effrayé que ça ! Peut être la fermeté de sa main sur la garde de son arme, peut être le pas de l’homme qui cherchait malgré lui à ne pas fuir. Je l’observais sous tous les angles.

Et bientôt une chose inattendue se produisit. Il ferma les yeux, laissa choir son épée.

La lame de la dague qu’il sortit de sous sa ceinture brilla comme l’éclair et vint se ficher juste sous ma clavicule.

Les gouttes de mon sang souillèrent le sol et je me dévoilais.

L’homme ouvrit les yeux.

Ce regard noir, je l’avais déjà vu, mais pas si près. Cet homme je ne l’avais pas reconnu, j’aurai dû.


Bien des années auparavant, un homme m’avait enseigné le tour d’invisibilité et je le retrouvais là sous mes yeux. Mais qu’était-il devenu ?

Un mage si puissant, dans ce corps de guerrier ?


Une vague de douleur atteint mes côtes. L’extase de la mort m’envahissait tout doucement.

Le voile noir emplissait mes yeux et les derniers mots que j’entendis furent dans le souffle de Luzi « Tu ne pouvais gagner ce combat, je ne t’avais pas tout enseigné mon jeune sorcier. Bonne nuit. Je viendrais te chercher. »


Publié dans Histoire d'y croire

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K
t'aiiiin, la classe quand-même... quand est-ce qu'un éditeur de renom te confie l'écriture d'un roman toi ?
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M
Bonjour, Je tiens à te dire que tu as du talent. Tu écris vraiment très bien. Et bravo aussi pour ton blog
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(
merci eussé! je fais de mon mieux!! ;o)
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E
Pas mal du tout !!!! J'aime beaucoup ta manière d'écrire :o)
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